Qui a été là-bas, en Asie, se souvient : le klaxon. En fait : le bruit. Permanent, comme la révolution et les coups d’éclats. Il faut prendre les bus pour savoir à quel point la perception du bruit est relative. Seuls les étrangers semblent importunés par les klaxons (et les « locaux » étonnés de leur agacement). Prenez le Vietnam, par exemple. Ou l’Inde, ou le Laos. Pour dépasser, il est obligatoire de klaxoner. Les chauffeurs ne se trompent pas quand ils écrivent au dos de leur camion : « Please, horn ! » (sous-entendu : merci de klaxoner pour dépasser). Au cas on se serait endormi au volant, c’est parfait. Certains pays vont loin en matière de sécurité routière.
Impossible de dormir évidemment, sur ces routes-là. Le bruit, donc. Mais aussi la route, qui ne s’y prête pas. Elle est là, indomptable, pleine de trous. Ca bouge : prendre le bus, c’est un peu prendre le bateau, là-bas. D’après la technique développée par un ami, il serait possible de dormir en restant très souple, de manière à ce que le corps encaisse les chocs. Soit, mais les coups de klaxons, on ne s’y fait pas.
Pour être tout à fait honnête sur cette histoire de bus, il faudrait aussi parler du rapport à la vie que le prendre sous-tend. Prendre le bus en Asie du Sud-Est, comme en Inde, c’est accepter le fait qu’on est finalement bien peu de choses et que ce que Dieu a créé, il peut également le reprendre (oui, prendre le bus implique également – un moment ou un autre – de croire en Dieu pendant la durée du trajet, tant on a l’impression que le seul moyen de se sortir vivant de là). Dans un pays de plus d’un milliard de personnes où la plupart souffrent, la vie ne vaut sans doute pas grand-chose. Et dans un bus, on fait un prix de groupe. Qu’on ne s’y trompe pas : le tarif (autour de 100 roupies pour un Madras-Pondichéry, de mémoire) est le même pour les étrangers que pour les Indiens (enfin c’est ce qu’on croit !). Et ça n’est pas remboursable.
Le klaxon est aussi une histoire de principe. Un rickshaw klaxonnera parce qu’il le faut bien, parce que sinon il ne serait pas vraiment rickshaw. Osons-le : klaxonner, c’est exister. Et ici, ou plutôt là-bas, exister, on sait y faire. Le bruit, il est partout, tout le temps. Dans ces pays-là, les sens sont en éveil permanents, à commencer par l’ouïe, loin de nos sociétés contemporaines, sans bruit et sans odeur. Les klaxons sont là pour ouvrir le bal, pour montrer aux autres qu’ils peuvent, qu’ils doivent en faire. Du bruit !
Très bien écrit, très belles photos, un plaisir à lire et à voir. Mais vraiment il n’y a pas de bruit dans nos pays occidentaux, pas d’odeur ? Hier j’étais dans un lycée: dans les couloirs, à la cantine, j’étais assourdie. Puis un embouteillage dans la rue, le bruit du métro, les gens qui parlent dans leur portable,la musique au restau en bruit de fond. On chercherait en vain du silence.
Il y a les trajets du bus dans ces pays lointains, mais aussi la joie des arrêts prolongés (panne, pause thé), au milieu de nulle part, au milieu de ceux qui font la route. Arrêts nocturnes de préférence, dans une chaleur douce, mêlée d’humidité. Odeurs de nuit, loupiotes, fatigue au coin des yeux. Comme une suspension du temps. Avant de repartir.
Agressif pour certains je le préfère aux sirènes belliqueuses, hargneuses, crispantes et criardes de la police. Le son variable qu’il émet résonne plus joyeusement. Il ne représente pas l’autorité, la priorité voir le passe droit mais une forme de communication ou chaque conducteur exprime un salut plutôt amical du respect de la vie voir de la survie.
Je ris je ris de te lire en plein coeur de Kathmandu ou je ne m’entends meme pas ecrire. Apres 11 jours dans le silence de l’Himalaya, vive les klaxons!
Et Dieu créa (aussi) la femme…