Shai était soldat. Pendant sept ans, il a servi au sein d’une petite unité d’infanterie de l’armée israelienne. Comme beaucoup de ses compatriotes qui ont fini leur service militaire, Shai a pris une année pour voyager. Normalement, le service militaire en Israël dure trois ans pour les hommes et deux ans pour les femmes. Mais lui s’est engagé dans une unité particulière, où l’entraînement dure deux ans, ce qui impose de rester trois années supplémentaires. Son commandant lui a proposé de rester encore deux années, ce qu’il a accepté. Puis il a quitté l’armée il y a quelques mois afin de faire un tour du monde, en passant par la Thaïlande, la Chine, le Japon, puis les Etats-Unis.
Le premier soir de son arrivée à l’auberge « Sakura Hostel » de Tokyo, il m’a proposé d’aller dîner. Ayant appris dans l’ascenseur qu’il avait passé sept ans dans Tsahal, j’ai bêtement refusé. Ce fut une erreur. Le soir suivant, nous avons mangé des sushis ensemble, puis nous nous sommes baladé dans Tokyo toute la nuit… Récit d’une rencontre formidable.
Il n’aime pas l’armée, Shai. « Evidemment, l’armée est une mauvaise chose, me dit-il, même – et surtout – en Israël ». Il regrette le comportement des soldats aux check-point. Alors que ce sont probablement les postes les plus sensibles, il déplore qu’on y mette systématiquement les jeunes les plus défavorisés socialement.
D’après ce qu’il voit autour de lui, l’impact psychologique de l’armée sur les jeunes est terrible. « Après avoir forcé des maisons de Palestiniens la nuit, certains sont complètement déboussolés et ne respectent plus rien. Ils parlent mal à leur mère en rentrant à la maison, après ». Il parle également du mauvais comportement de nombreux Israéliens qui vont en Inde après leur service militaire. Après avoir subi pendant des années la pression de l’armée (Shai dit que d’après lui, en trois ans de service militaire, on a forcément tiré au moins une fois si on est incorporé dans une unité combattante), certains se lâchent… un peu trop. C’est vrai qu’ils n’ont pas très bonne réputation, là-bas (tout comme les Australiens, d’ailleurs). Après un voyage sur place pour vérifier le bien-fondé de celle-ci, le ministère des Affaires étrangères israélien a été jusqu’à demander au consulat d’Inde de réduire drastiquement le nombre de visas accordés aux jeunes Israéliens.
De gauche et laïque, Shai est contre l’interdiction de contester la Shoah, comme c’est le cas en France et en Israël. Il dit qu’il n’y a pas besoin de lois, qu’elles sont même néfastes. Les preuves avancées par les historiens sont suffisantes. Pour lui, Israël entretient d’ailleurs un rapport problématique à la Shoah, qu’il faut « démythifier ». Il est sceptique sur la visite des camps de concentration imposée à tous les élèves israéliens. Avec sa classe, ça c’est très bien passé parce qu’ils étaient bien préparés. Mais le père d’une élève, un philosophe de premier plan en Israël, a refusé de laisser partir sa fille. Car bien souvent, pour des jeunes qui prennent la première fois l’avion, le centre d’intérêt réside davantage dans la « sortie » que cela représente, plutôt que dans l’intérêt historique.
Il est « évidemment » pour la création d’un Etat palestinien, et contre les colonies. Il désespère de l’évolution des choses dans les deux camps. Quand je lui dis que l’idéal ne serait-il pas, un jour, de faire un Etat pour tout le monde, il me répond : « oui, bien sûr ». Je lui parle d’un reportage que j’avais vu à la télévision il y a quelques années. On voyait les dirigeants israéliens et palestiniens se réunir dans une maison. Ils plaisantaient entre eux. C’était les mêmes, les mêmes hommes : des hommes d’Orient. Shai me dit : « bien sûr, bien sûr que nous sommes les mêmes, le problème c’est que certains ne veulent pas le voir ». Les Palestiniens les plus vieux parlent souvent hébreux, parce qu’ils venaient quotidiennement travailler en Israël. Depuis quelques années, avec les restrictions, c’est moins souvent le cas.
Alors pourquoi Shai a-t-il intégré l’armée ? Il ne s’est même pas contenté de faire son service militaire, il s’est engagé et a servi pendant sept ans Tsahal. Sa position, intéressante, est à peu près la suivante : il vaut mieux des gens « comme lui » au sein de l’armée, pour pouvoir essayer de changer les choses de l’intérieur. L’armée en Israël n’a pas le même statut qu’en France par exemple. Elle semble se confondre avec la société : jusqu’à trente ans, les jeunes y retournent régulièrement, de nombreux généraux sont au devant de la scène politicienne… Dès lors, elle n’est peut-être pas « rejetée » d’un bloc comme on pourrait le penser. On peut le déplorer, mais elle fait partie intégrante de la société israélienne.
Géopolitique quand tu nous tiens!!
Qu’est ce qu’il veut dire, Shai en parlant de “changer l’armée de l’intérieur” ? Et lui en sept ans, l’a-t-il changée ? Ou est-ce que ce n’est pas l’armée qui l’a changé lui ? Mais c’est vrai que c’est quelque chose de très particulier, on se demande ce qu’il y a fait pendant sept ans, ce qu’il a vécu. Finalement il n’est pas simple à comprendre Shai: qu’est ce qui l’a décidé à quitter l’armée ?